Une communication RH donnant trop peu envie ?

La phobie du risque a conduit les ressources humaines à élever un redoutable mur de process pour se protéger et asseoir leur légitimité. Il n’y a pas si longtemps, ils étaient « chefs » du personnel. Ils en deviendront les « directeurs » avant d’accéder enfin au titre autrement plus prestigieux de Directeurs des Ressources Humaines.

 

On éprouvait pour eux quelque condescendance, alors qu’ils rêvaient d’un siège dans ces fameux comités exécutifs où tout se décide. Ils se vengeront en inventant une batterie de méthodologies complexes, plus hermétiques les unes que les autres, se forgeant un corpus de signes, de codes et de réflexes dont ils feront une porte lourde et verrouillée, derrière laquelle ils se protégeront et qu’ils refuseront d’ouvrir à qui n’est pas des leurs.

À commencer par la gent communicante, cette dangereuse concurrente. Concurrente parce que les RH se pensent seules légitimes à orchestrer la communication interne et voient d’un mauvais œil les directions de la communication s’en emparer. Dangereuse, parce qu’en la matière, justement, les deux n’ont pas la même philosophie.

Tout professionnel de la com sait que celle-ci, pour être efficace, doit sacrifier à trois conditions : la rupture, la séduction et la conviction.

La rupture, parce que dans le brouhaha ambiant, la multiplication affolante des messages (tout le monde parle à tout le monde), il est essentiel de franchir le mur du bruit. On ne peut le faire qu’en créant la surprise, qui provoque l’attention.

 

La séduction, elle va de soi. L’attention, une fois attirée, n’accepte d’aller plus loin que si elle est séduite.

La conviction, c’est la preuve. Notre monde de publiphobes sceptiques agacés par les postures l’exige. Lacom, c’est d’abord du risque animé par un esprit de conquête, sinon, c’est de l’eau tiède.

Tout cela ne plaît guère à nos ressources humaines qui, on l’a dit, détestent le risque. Pour elles, une bonne communication, c’est une accroche bien plate, des textes façon langue de bois, dont chaque mot est pesé au trébuchet, et un recours systématique à ce qu’il est convenu d’appeler des smiling people. Vous savez : ces jeunes gens propres sur eux, obligatoirement issus de la diversité, qui regardent l’objectif avec un sourire radieux censé exprimer l’immense bien-être qu’ils éprouvent dans leur entreprise (ce que chacun imagine aisément). Si nos smiling people sautent de joie sur la photo, c’est encore mieux.

Le degré zéro de la communication, mais la bible des RH. Marie en a tellement souffert. Combien de fois est-elle venue les bras chargés de maquettes plus créatives les une que les autres, cherchant à décoiffer pour au moins attirer l’attention et si possible convaincre ? Et combien de fois s’est-elle vue regardée comme une extraterrestre inconsciente et irresponsable, voire débile ? Combien de fois a-t-elle été à deux doigts de crier : « Mais quand comprendrez-vous que si vous appelez notre agence, c’est pour que nous provoquions de l’envie, mais que la seule chose que vous soyez capables d’acheter, c’est de l’ennui ? » ?

Et en elle-même, elle ajoutait : « Être mal payée d’accord, mais au moins que ce soit pour faire bien les choses ». Malheureusement, ses interlocuteurs – des responsables du recrutement ou des chargés de com interne – étaient déjà vieux. Ils n’avaient pas trente ans, mais dans les RH, à trente ans, on ne rêve plus.

Juillet 2004, la direction de la communication de GIAT Industries, le fabriquant du trop célèbre char Leclerc, décide de changer de logo pour initier la réorganisation de l’entreprise.

On se rappelle que celle-ci perdait des sommes colossales depuis des années en proposant un produit invendable parce que beaucoup trop sophistiqué pour les besoins réels des clients (un char Leclerc était capable de griller une Porsche au feu rouge !). Ce blindé ne correspondait d’ailleurs plus à un besoin puisque destiné aux vastes champs de batailles alors que les combats étaient devenus, depuis la chute du Mur, exclusivement urbains (le Leclerc se révélait trop large pour passer dans les rues).

En bien mauvais état, l’entreprise avait été reprise en main par Luc Vigneron, notre futur président de Thales, qui allait la réformer en profondeur. Le moral des troupes était au plus bas. Le comité de direction tétanisé tremblait au moindre haussement de sourcils du président. Les cadres à haut potentiel, tous brillants ingénieurs de l’armement, ne voyaient d’avenir ni pour l’entreprise ni pour eux. La majorité des salariés emmenés par des syndicats particulièrement durs étaient tout simplement hostiles.

 

Le directeur de la communication lance donc une consultation auprès d’une poignée d’agences pour choisir celle à qui reviendra l’honneur de refaire le logo. Parmi elles, l’une se distingue en prenant le contre-pied de la demande. Après quelques minutes à écouter l’exposé, le patron d’une des agences consultées interpelle son interlocuteur : « J’ai l’impression que votre problème n’est pas une histoire de logo, mais plutôt celui de la formalisation d’un projet d’entreprise capable de fédérer et de redonner de l’espoir à vos troupes. »

 C’était bien vu. Il gagne la compétition et demande, avant de formaliser ses recommandations, à rencontrer en tête-à-tête une trentaine de managers.

Il rédige ensuite son rapport et présente ses conclusions à Vigneron. Elles confirment en tout point sa première intuition :« Vos troupes sont totalement désimpliquées. Elles ne savent pas où va l’entreprise, elles n’y croient plus. De plus, votre management est perçu comme autoritaire et décourage l’initiative. Il est urgent que vous dessiniez un projet pour l’avenir et que vos managers soient convaincus qu’il en est un possible. »

« Je ne parlerai de l’avenir que lorsque l’on gagnera de l’argent, répliqua Vigneron,et pour l’instant, on en perd trop. Ma priorité est de réformer l’entreprise et de la restructurer, pas de donner du rêve. »

« Vous ne gagnerez de l’argent que lorsque vous présenterez une stratégie qui subjuguera vos équipes. Alors, et alors seulement, elles décupleront leur énergie pour réaliser votre transformation. »

Ce dialogue de sourds dura six mois. Vigneron était déjà Vigneron. Il finit pourtant par se laisser convaincre et donna son feu vert.

 

La communication put se mettre à l’ouvrage. Elle lança « l’opération Chrysalide » et, sous l’intitulé « Il est temps de voir la vie autrement », elle choisit comme slogan de son opération « On a changé, changeons d’avenir ». Elle réunit tous les managers dans une salle repeinte en rose (la rupture), présenta le nouveau projet et les chantiers qui permettraient de l’atteindre (la conviction), qu’elle anima pendant deux ans.

Tous les outils (affiches, lettres d’informations, présentations PowerPoint) avaient adopté la couleur rose et un soupçon d’autodérision (la séduction). Nos ingénieurs de l’armement, d’abord abasourdis, s’enflammèrent. Deux ans plus tard, GIAT gagnait de l’argent (elle n’a cessé depuis) et changeait de nom pour s’appeler Nexter. On allait enfin pouvoir faire un logo…

Entre-temps, la DRH, qui n’aurait jamais acheté une campagne tellement dépourvue de smiling people mais franchement décapante (comme le soulignera le journal Les Échos), s’était mise en retrait et son patron finit par quitter l’entreprise…

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