Marie, jeune diplômée, performante et travailleuse décroche son 1er … CDD

Afin d’illustrer notre propos, nous vous proposons de l’illustrer par un exemple simple et concret: celui de Marie, jeune diplômée ayant décroché un premier job dans la communication.

 

Il est six heures, Marie s’éveille. En fait, elle tombe du lit, elle a dormi cinq heures. A-t-elle vraiment dormi ? Hantée par les problèmes de la veille, elle a rêvé des cauchemars du lendemain. Ne vous inquiétez pas, Marie a l’habitude, c’est comme cela tous les jours. Dimanche compris ? Oui, et le samedi aussi !

Elle quitte son bureau, pardon, son open space (c’est mieux pour la communication et ça facilite l’épanouissement, lui a-t-on expliqué le premier jour, même si pour l’efficacité, compte tenu du bruit…), elle le quitte donc à minuit et le retrouve à sept heures pour une journée de contrordres et de contretemps, de mauvaise foi des clients et de frustration des patrons.

Marie s’en moque, elle a un emploi, elle. En réalité, elle ne s’en moque pas vraiment, elle n’a pas le choix, tout simplement. De toute façon, elle est convaincue comme 69 % de sa génération qu’elle finira un jour au chômage, mais il n’y a pas urgence.

Pourtant, Marie n’est pas totalement démunie. Elle porte ses diplômes comme autrefois on portait son armure. Il paraît que c’est important, les diplômes. Tant pis si 40 % de ceux qui en sont bien pourvus mettent plus d’un an avant de trouver leur premier emploi, et encore : la plupart du temps un CDD. C’est la guerre, donc… comme à la guerre, on meurt moins vite si l’on se protège.

 

6 h 05, Marie sort de la douche. Ouf ! L’heure est trop matinale pour qu’elle croise son père dans la cuisine. Elle l’aime bien, son père, mais la conversation, ça fait perdre du temps. Elle fait chauffer l’eau pour son thé, prend une barre de céréales, non, deux (elle n’est pas certaine d’avoir le temps d’avaler un plat à la cantine). Elle attrape son iPhone, il est toujours allumé (s’il y avait une urgence chez un client). Elle se branche sur la RATP. Son premier bus arrive dans quatre minutes, le suivant dans douze. Va pour le premier, et tant pis si elle s’ébouillante le palais.

 

Jour de chance pour Marie, il reste des places assises. Elle va pouvoir lire ses mails. Toujours ça de gagné. Seize messages dont sept de Sophie, la responsable des événements chez son client. Responsable est un bien grand mot, Sophie est en stage pour six mois, avant un CDD renouvelable qui, si tout va bien, pourrait se transformer en CDI dans un peu plus d’un an. La présentation à la presse de la nouvelle stratégie d’innovation par le président a lieu dans deux jours. Tout le monde stresse.

 

« Désolée pas de budget pour la création des slides, il faut que tu te débrouilles toi-même. Je t’envoie une nouvelle version en fin de matinée, j’attends ta mise en page avant 14 heures. Bon courage. Bisous. »

« Bisous », c’est la nouvelle façon de dire : « C’est comme ça et si tu trouves cela stupide, injuste et inconséquent, va te faire voir, c’est moi le client. »

« Putain ! Ils sont nuls ! », hurle Marie dans sa tête. Eh oui, on pense comme cela maintenant dans le monde de l’entreprise, il faut bien un exutoire. La DA, ce n’est pas mon job quand même ! Je vais en avoir pour trois heures. Franchement, j’ai autre chose à foutre, surtout que j’ai mon entretien d’évaluation à midi. »

 

Marie fait l’unanimité. Elle est intelligente, claire, rapide, efficace. Elle sait écrire, qualité de plus en plus rare, et elle présente bien. Dans les deux sens du terme : elle est jolie comme un cœur et se montre particulièrement claire et convaincante lorsqu’il lui arrive de plancher devant les clients. Comme elle est douce et toujours souriante, on peut dire que Marie a tout pour elle. Sauf la vie qu’elle devrait avoir.

Bac +8, car elle a consacré trois années de sa vie à faire des stages dans des unités psychiatriques pour parfaire ses études de psycho – personne ne dira qu’elle n’est pas consciencieuse –, Marie gagne 1 900 euros bruts par mois. À trente ans ! Insuffisant pour s’offrir un loyer. En se sacrifiant énormément, elle pourrait emprunter 60 000 euros, de quoi financer… un parking. Marie vit donc chez ses parents en attendant de trouver l’âme sœur, l’homme d’un bout de sa vie et peut-être plus, si vraiment affinités.

 

Alors quand on lui explique que la vieille Europe – et particulièrement la France – est sortie du marché faute d’être compétitive, quand on lui raconte que le coût du travail est trop élevé et qu’à cause de cela la croissance est moribonde, Marie sourit mais jaune, regrettant de pas avoir fait sciences-éco plutôt que psycho. Elle aurait peut-être compris.

Quand elle aura achevé de mettre en page cette fichue « prez », on lui rappellera pendant son entretien d’évaluation qu’elle est formidable, qu’elle fait partie des gens sur qui l’on compte, que l’on n’a aucun reproche à lui faire (bien au contraire) mais que cette année encore (cela fait trois ans que ça dure) il n’y aura ni prime ni augmentation. Pour personne. Comme si c’était une consolation.

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