L’envie au cœur de Zappos ou l’exception qui confirme enfin la règle

Tony Hsieh est un génie. Il devient multimillionnaire à 24 ans quand il vend pour 265 millions de dollars LinkExchange, sa première société, à Microsoft. En 2005, il décide d’investir dans Zappos, une jeune entreprise spécialisée dans la vente de chaussures sur Internet. Nick Swinmurn, son fondateur, frustré de ne pouvoir trouver pour lui dans les boutiques traditionnelles le modèle de chaussures de foot dont il avait envie, avait décidé de référencer toutes les chaussures existantes sur son site et de rémunérer les fabricants sur les ventes effectives. C’était une bonne idée, mais pas franchement révolutionnaire ; les ventes marchaient, mais assez doucement (1,6 million de dollars en 2000).

L’ambition de Hsieh est tout autre : il veut réaliser un milliard de chiffre d’affaires et il est convaincu qu’il n’y parviendra qu’en appliquant ce qui deviendra sa devise : offrir un service client bluffant grâce au « bonheur » de ses salariés.

Le mot est lancé. Un patron a osé parler de bonheur et va s’y employer.

 

Il commence par transformer le service client. Le numéro d’appel devient gratuit, et surtout les conseillers ont le droit de passer une heure avec leur interlocuteur s’ils pensent que c’est utile. Le guide d’entretien du téléconseiller est abrogé. C’est cet argumentaire débile qu’imposent tous les opérateurs à leurs équipes. C’est une arborescence qui guide la conversation et où toutes les réponses sont prémâchées. C’est pénible pour le client, ça l’est plus encore pour le télévendeur, qui ânonne toute la journée les mêmes fadaises sous prétexte d’être ainsi plus efficace (les experts sont passés par là, et avec eux leurs process).

C’est également censé réduire les coûts en abrégeant la durée des communications. Dans certaines entreprises, on va jusqu’à mesurer le temps passé et attribuer des primes ou des sanctions en fonction des performances. Zappos se veut une entreprise de relation client et non un vendeur de chaussures.

Mais le plus important est le climat que Hsieh entend instaurer. En fait, c’est la clé de tout le reste. À ses yeux, les idées fusent lorsqu’on est heureux au travail et que l’on partage son bonheur avec des collaborateurs avec qui l’on a des relations amicales. Il prône le grain de folie et organise même des soirées pyjamas… « Sortez du cadre, surtout sortez du cadre ». Pas vraiment d’avenir pour les analysants.

La qualité du recrutement compte d’ailleurs pour beaucoup. Si quelqu’un vient pour l’argent, il n’a pas sa place et pendant le process d’intégration, Tony Hsieh offre 4 000 dollars à qui décide de quitter la société…

 

Autre recette du bonheur : limiter le rôle des fonctions RH et juridique. Les impliquer un minimum, et surtout pas dans les décisions opérationnelles, et limiter au maximum leur pouvoir dans l’organisation pour éviter l’inertie et la propension à la bureaucratie. Un génie, vous dis-je. Et un génie milliardaire : il a revendu Zappos quelques années plus tard pour 1,2 milliard de dollars à Amazon. Il a tenu à négocier avec l’équipe de Jeff Bezos le maintien de son autonomie et de sa culture. On croise les doigts…

 

Pas besoin de s’étendre. On a compris que l’obsession financière et du court terme qui prévaut dans les entreprises a une alternative autrement plus exaltante et sans doute plus rentable. On a compris que la frilosité qui envahit nos organisations et conduit à les figer derrière des process n’est pas inéluctable. On a compris que mettre le bien-être des hommes au cœur de sa stratégie doit redevenir la raison d’être de l’entreprise, comme nous le proposions dans le paradigme de l’envie, et que si l’on n’en partage pas forcément le présupposé humaniste, on en mesure aisément les résultats.

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