Cegetel ou comment utiliser les socio-styles en entreprise

Nous n’aurions pas forcément nommé à Bercy des ministres aux socio-styles tellement opposés que sont le « promouvant » Montebourg et « l’analysant » Moscovici. Il n’est pas non plus certain que le choix d’un « facilitant » comme président de la République en pleine période de crise ait été le plus judicieux. Encore eût-il fallu que l’électeur l’eût su.

 

Le grand intérêt de la théorie de Gornstein est qu’elle s’applique également aux entreprises. Chacune a son socio-style propre, qui peut se révéler moteur ou au contraire bloquant, selon les situations.

Au début des années 2000, le conseil d’administration de Cegetel décide de fusionner sa branche « fixe » avec Télécom-Développement. À l’époque, Cegetel, aujourd’hui SFR, est spécialisée dans la fourniture de solutions et de services aux entreprises dans le domaine des communications (téléphone, Internet, etc.).

Télécom-Développement, dont les actionnaires sont Cegetel mais aussi la SNCF, est quant à elle chargée d’installer le réseau, de l’adapter au cahier des charges souvent changeant (concurrence oblige) de Cegetel et de l’entretenir. Le métier de Cegetel est d’inventer des produits, celui de TD d’en assurer la viabilité.

 

Les deux entreprises travaillent ensemble depuis plusieurs années mais ne s’aiment guère. Les collaborateurs de l’une reprochent à ceux de l’autre d’être irresponsables. Les Cegetel ne supportent plus de se voir systématiquement mettre des bâtons dans les roues par les TD.

Cela ne peut durer. Olivier Huard, le jeune président de Cegetel, obtient donc de son conseil la réunion des deux entités sous un même management. C’est à ses yeux le seul moyen de délivrer le bon service, au bon moment et au bon prix. Sinon, c’est champ libre pour France Telecom.

 

Son raisonnement est judicieux, tout le monde en convient, même chez TD. Mais personne n’en a envie, ni chez l’une ni chez l’autre. Trop de cadavres, trop d’aigreur, trop de rancune.

Au bout de six mois, malgré les réticences, tout est prêt. Le projet (la cathédrale) est formalisé, les chantiers de transformation clairement identifiés, leurs objectifs précisés, leurs responsables choisis. Mais d’envie, toujours pas. Il faut portant y aller, alors, place à la com et on verra bien.

Consciente de l’enjeu, et surtout des difficultés, l’agence, appuyée par Marie-Christine Théron, la DRH qui tout au long du chantier tranchera par son ouverture d’esprit, son goût du risque et son sens de l’humour (eh oui, ça existe !) préconise de procéder d’abord à une analyse des cultures de chaque entité à partir des socio-styles de Gornstein.

 

Les résultats sont édifiants : les deux entreprises ont tout pour… ne pas s’entendre. TD est analysante à tendance contrôlante, Cegetel promouvante. Ces deux styles par essence s’agacent mutuellement, ils ne fonctionnent ni sur les mêmes registres ni à partir des mêmes motivations. Tout les oppose.

Pour l’agence, une seule solution : oser souligner les différences (divergences) et les traiter par l’autodérision. De l’humour, surtout de l’humour.

Elle choisit de créer un code nouveau, étranger à tout ce qui a été fait auparavant par les deux entités pour éviter un sentiment de mainmise de l’une sur l’autre.

Le logo de la campagne : une photo de figurines très kitch qui trônent en haut des pièces montées des banquets de mariage, avec comme slogan : « Cegetel-Td, la vie devant nous. » Quatre affiches inondent les murs le jour du lancement. Elles mettent en scène des couples complètement déjantés et surtout mal assortis qu’à l’évidence rien ne saurait unir. Les accroches n’y vont pas par quatre chemins.

 

Voilà une campagne que Marie aurait aimé vendre, mais elle était trop jeune, les Théron trop rares et c’était une époque où l’on osait encore oser.

Après le lancement, chaque fois qu’une avancée ou qu’un événement marquait le déroulement de la fusion, l’agence produisait une nouvelle affiche. Par exemple, celle annonçant le déménagement des deux entités dans des locaux communs. On y voit une femme en bigoudis, le visage recouvert d’un masque de nuit et un homme à moitié chauve en pyjamas, suçant son pouce avec un ours en peluche blotti dans les bras. L’accroche ? « On ne va quand même pas continuer à faire chambre à part ».

 

La campagne de communication a fait un tabac, les troupes se sont immédiatement détendues. Au départ, elles étaient convaincues mais traînaient les pieds ; désormais, elles sont séduites. « Avec une pareille com, on n’allait pas s’ennuyer ». Merci Marie-Christine, et vive l’envie.

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